Plus de dix ans se sont écoulés et je me souviens encore de l’émotion. Portée par les mémoires ancestrales elle semblait avoir traversé les âges, emprunté un voyage sous terrain défiant les lois du temps, pour arriver jusqu’à moi et cristalliser ce pont transgénérationnel.
Exposés devant une vitrine commerciale, ce n’était pourtant que des papillons noirs… en papier.
Rien ne justifiait un tel figement. Ma sœur de cœur, témoin silencieux de ce bouleversement intérieur, m’en a confectionné une nuée… et me les a offerts. 🎁Longtemps, ils sont restés dans un coffre. Je pensais à « eux » régulièrement, me demandant pourquoi je ne les exposais pas.
Le temps passe.
Lors d’une quête mémorielle, je tombe « par hasard » sur le recueil de mémoires de guerre de papi André, mon arrière-grand-père maternel. Un tout petit carnet noir, écrit au crayon. Papi y parle d’Alénya, de ses racines, de la terre, du « 4bis rue du nord » qu’il se languit de retrouver un jour. J’y découvre un homme sensible, parti au combat sans armes.
Il passe 5 mois et 7 jours sans nouvelles de sa famille avant de recevoir, enfin, une lettre :
« Mon premier regard est pour voir l’expéditeur, et mes yeux se voilent de larmes car je reconnais l’écriture de ma chère Paulette. Quelle douce journée j’ai passé ce jour. Plus encore que les autres jours, ma pensée vole vers mon cher Alénya, auprès de tous ceux qui me sont si chers. Ce doux coin de terre, qui garde mes espérances, ma joie, et mon bonheur, quand est-ce que je le reverrai ? »
Il s’en suit de longs passages éprouvants, entre la famine, les bombes, les projectiles, les températures qui descendent à 30° en dessous de zéro, les camps de concentration. Je cite « Ce que nous avons vu pendant cet hiver, c’est inhumain d’être relaté dans les annales de l’histoire. (…) »
Après 52 pages, la lecture de ses derniers mots provoque un électrochoc et un tsunami émotionnel : « Enfin, je rentre comme maçon à l’entretien du camp, et j’assiste à quelques distractions. Théâtre, chant, musique… tout ceci contribue à chasser les papillons noirs, qui volent trop souvent autour de nous. »